Voyage au cœur des turbomachines avec Alexis Giauque

Alexis Giauque est numéricien, enseignant-chercheur à l'École Centrale de Lyon. Il développe ses recherches au sein de l’équipe « Turbomachines » du Laboratoire de Mécanique des Fluides et d'Acoustique (LMFA). Plus particulièrement : il cherche à améliorer les performances de certaines turbines grâce à la modélisation numérique. Partons avec lui à la découverte des turbomachines.

Quelles est la nature de votre recherche ?

Turbine ORC
Turbine ORC

Au sein de l'équipe « Turbomachines », je travaille à l'amélioration des performances de turbines très particulières que l’on appelle « turbines ORC » (pour Organic Rankine Cycle en anglais). Pour resituer les choses, une turbine est une machine qui est capable de transformer l'énergie interne d'un fluide en énergie utile. Les turbines ORC, auxquelles je m’intéresse, ont pour objectif de produire de l’électricité à partir de chaleur. Mes recherches visent à améliorer le rendement de ces machines grâce à la simulation numérique.

À quoi ressemblent ces turbomachines et comment fonctionnent-elles ?

Collecte energie solaire
Principe de collecte de l'énergie solaire à l'aide de miroirs cylindro-paraboliques

La chaleur qui est utilisée par les turbines ORC afin de produire de l'électricité peut provenir d'énergies renouvelables comme celles issues du soleil ou de la géothermie. Leur fonctionnement est très exactement l'inverse de celui d'un réfrigérateur. Ce dernier utilise de l'électricité pour créer une différence de température (froid à l'intérieur/chaud à l’extérieur). Alors que les turbines ORC créent de l’électricité à partir d’un différentiel température (entre l'air ambiant et des miroirs solaires par exemple) pour créer de l'électricité.

Elles peuvent aller de la taille d’un réfrigérateur pour celles produisant quelques kilowatts (kW), jusqu’à celle d'un bâtiment pour celles produisant jusqu'à quelques centaines de mégawatts (MW).

Comment vous y prenez-vous pour améliorer ces turbines ?

Pour les améliorer, il faut déjà comprendre les phénomènes physiques qui s’y déroulent. Or, les fluides qui circulent dans ces machines ont des propriétés physiques et thermodynamiques différentes de celles de l'air qui nous entoure ; ils se comportent donc différemment. Mon travail consiste à modéliser et simuler l’écoulement du fluide dans la machine.

Simulation ecoulement turbine
Simulation d'écoulement turbulent de fluide organique

Pour cela, j'utilise les grands moyens de calcul français, présents au CEA par exemple, pour représenter virtuellement la turbine avant même de la fabriquer. Nous employons les lois fondamentales de la mécanique des fluides que l'on fait résoudre par de puissants serveurs de calcul dans une turbine virtuelle. L'ordinateur nous permet d’ailleurs d'aller explorer des zones de ces turbines quasiment inaccessibles expérimentalement, soit parce que la température y est trop élevée, soit parce que l'on se place dans la zone en rotation très rapide.

Avez-vous recours à l’intelligence artificielle pour concevoir ces modèles ?

L’intelligence artificielle a ceci d'intéressant qu'elle est capable de détecter des liens ténus, parfois difficile à mettre en évidence par d'autres méthodes, entre des variables physiques du système. D'une certaine façon, avec Christophe Corre, directeur de la recherche de l'École Centrale de Lyon, mais aussi avec Aurélien Vadrot et Paolo Errante, en doctorat et postdoctorat dans l'équipe, nous mettons à profit l'IA en l'utilisant comme une sorte de « super » modèle très utile pour nos prévisions.

Enfin, pourquoi s’intéresser à ces machines ?

Ces turbines ont été expérimentées en Israël et en Italie dès les années 1960 mais n'ont pas été développées comme elles auraient pu l'être lors des trente glorieuses, lorsque le pétrole était peu coûteux. Avec le changement climatique et les problématiques de pollution environnementale, elles reviennent sur le devant de la scène grâce notamment à des acteurs industriels français comme Enogia. Elles présentent en effet l’énorme avantage de produire de l’électricité dite « verte », à partir de l’énergie naturelle du soleil ou de la géothermie. Prévoir leur comportement a pour objectif de final d'améliorer leur rendement, de faciliter leur déploiement à grande échelle en France, et ainsi de participer à l'effort de décarbonation de notre énergie.

Alexis Giauque rejoint Centrale Lyon en 2013 comme enseignant-chercheur (MFAE/LMFA). Ses travaux se déclinent dans les domaines des fluides et de l’énergie. Il s'intéresse tout particulièrement à la modélisation de la turbulence compressible pour la prédiction de la stabilité des écoulements complexes en turbomachines.

Écoutez à ce sujet la chronique « Dis pourquoi ? » avec Alexis Giauque, diffusée sur RCF Lyon le 8 juin 2021