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La crise sanitaire actuelle nous semble inédite et particulièrement violente. Pourtant, les épidémies accompagnent l’évolution des hominidés depuis des millénaires, des zoonoses préhistoriques ont notamment été observées grâce aux squelettes d’Australopithécus africanus datant de 2,8 millions d’années1. Nos sociétés sont marquées par les grandes épidémies de l’ère moderne comme la peste ou le choléra, des événements meurtriers d’ampleur pendant lesquels sont inventés le confinement ou la quarantaine.
Huit siècles d’épidémies de peste
Jusqu’au 19e siècle, le terme « peste » est utilisé de façon générique pour désigner tous les épisodes plus ou moins épidémiques très meurtriers. Il a pris ensuite son sens moderne qui désigne le bacille Yersinia pestis, une bactérie zoonotique transmise des rats aux humains via des puces. Il est démontré que, dans l’Antiquité déjà, des épisodes de peste sont à déplorer. La plus documentée de cette période est la peste antonine entre 165 et 190. Pourtant, c’est seulement au 6e siècle que la science identifie sa première pandémie avec la peste justinienne. Sa cause et son mode de propagation n’étant pas identifiés, elle fait alors entre 30 et 50 millions de morts2. L’épisode de la peste noire au 14e siècle est le plus meurtrier avec une estimation de 200 millions de morts. Longtemps impuissants face à cette épidémie, les médecins découvrent petit à petit les vertus des cordons sanitaires et des mises en quarantaine3,4, des recettes encore largement utilisées dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. Les traitements développés suite à la découverte du bacille par Alexandre Yersin en 1894 ont mis fin à 8 siècles d’épidémies de peste5.
Choléra ou VIH, des épidémies actuelles
La grippe espagnole a beaucoup fait parler d’elle ces derniers mois. Cette pandémie qui disparaît spontanément en 19206 a tué entre 20 et 50 millions de personnes à travers le monde et semble étrangement proche de celle du Covid-197,8, même si le contexte est très différent9. Moins citées dernièrement, deux infections sont encore très actuelles, le choléra qui ferait encore 100 000 morts par an et le VIH qui a tué 770 000 personnes en 2018.
Choléra
Le choléra sort de l’Inde en 1817 et atteint l’Europe en 1835. La médecine croira d’abord que l’air est contaminé et passera alors à côté du vrai danger, l’eau. La bactérie se transmet via la consommation d’eau ou d’aliments infectés par le Vibrio cholerae. Le développement social et sanitaire de l’Europe du 19e siècle va faciliter la propagation du choléra dans les catégories sociales fragiles qui n’ont pas accès à des réseaux d’eau potable ou de bonnes conditions d’assainissement des eaux10. Après six vagues épidémiques réparties sur deux siècles et 5 à 10 millions de morts dont 150 000 en France, le choléra ne touche plus les pays ou l’accès à l’eau potable est facile et dont le réseau d’assainissement est développé. La septième épidémie est néanmoins toujours en cours dans de nombreux pays11.
VIH
Le VIH fait son apparition médiatique en 1983 avec la mise en lumière de centaines de cas d’une maladie inconnue très rare qui touche principalement les homosexuels. Ses premières apparitions seraient pourtant plus anciennes. Les chercheurs trouve en effet la trace de premiers cas dès 1920 au Congo-Brazzaville12. Ce virus zoonotique se transmet au départ du singe à l’humain via la manipulation de viande de chimpanzé. La connaissance des virus est très limitée à l’époque et des transfusions sanguines mal réalisées accélèrent la propagation. Le VIH reste plusieurs années localisé, sa propagation et son caractère pandémique sont dus à la colonisation qui entraine alors urbanisation, multiplication des échanges internationaux ou développement de la prostitution.12 Le VIH est au stade pandémique depuis 40 ans et a tué entre 25 et 35 millions de personnes.
Un moment de test pour nos sociétés et notre époque
L’histoire des épidémies nous apprend que la crise sanitaire actuelle n’est pas exceptionnelle, même pour l’ère moderne et que la réaction collective face à la maladie peut être très différente selon les époques13. La mondialisation et l’impact de l’homme sur son écosystème sont évidemment des facteurs de propagation des virus et bactéries, il en est de même à des échelles différentes depuis l’Antiquité. Cette pandémie de Covid-19 dit plus sûrement quelque chose de notre rapport à la santé et à la mort et nous pousse à philosopher. Beaucoup lirons probablement La Peste d’Albert Camus, qui bas des records de vente de l'Europe à la Chine14, et seront surpris de son actualité.
Si les épidémies sont des moments de test pour une société et une époque, comment celle-ci va-t-elle marquer notre système sanitaire et notre organisation sociale ? Les épidémies passées ont laissé leur empreinte sur les villes, la pandémie de Covid-19 ne devrait pas déroger à la règle15. Les routes commerciales vont-elles se raccourcir ? Nos sociétés vont-elles relocaliser certaines productions ? Des progrès sont attendus et sont probables en matière de systèmes de santé mais irons-nous jusqu’à réinventer l’urbanisme ? À céder certaines de nos libertés ? À laisser plus de place au digital ?
Pour aller plus loin : Cities after coronavirus: how Covid-19 could radically alter urban life
1 Archaeology offers clues to pandemic rebounds from the past
2 Visualizing the History of Pandemics
3 Peste et choléra : quand les épidémies frappaient le Tarn-et-Garonne
5 Huit siècles d'épidémies: ce que nous apprend l'histoire de la peste
7 Le virus retrouvé de la grippe espagnole
8 Grippe espagnole et Covid-19, deux épidémies étrangement proches
9 Grippe espagnole et coronavirus : pourquoi le contexte est très différent
10 Sept pandémies en deux siècles: ce que nous apprend l'histoire du choléra
12 Sida, aux origines d’une épidémie dont la fin est désormais envisageable
13 La grippe de 1968, une pandémie qui n'a pas fait de vague
14 La Peste d'Albert Camus parmi les livres les plus lus en Chine pendant les temps du COVID-19
