Magali Phaner-Goutorbe : Les sucres synthétiques, nouvelles armes pour protéger les poumons

Une équipe de chercheurs réunis dans un consortium1 a étudié l’interaction entre la bactérie Pseudomonas aeruginosa et les cellules épithéliales des poumons. Au sein de ce groupe, Magali Phaner-Goutorbe et Yann Chevolot de l’Institut des nanotechnologies de Lyon (INL) ont plus particulièrement mesuré l’effet inhibiteur de sucres synthétiques sur cette interaction entre Pseudomonas aeruginosa et les cellules épithéliales.

La bactérie Pseudomonas aeruginosa est un agent pathogène responsable d'infections chroniques des voies respiratoires de personnes souffrant de fibrose kystique (FK), mucoviscidose ou immuno-déficientes (comme les grands brulés). Pour infecter les poumons, ces bactéries utilisent notamment les protéines LecA qui s’accrochent à des sucres naturellement présents à la surface des cellules épithéliales des poumons. Ces bactéries fabriquent ensuite un biofilm qui se dépose sur les poumons et les protège des traitements antibiotiques. Ces biofilms engendrent une infection chronique difficile à éradiquer qui conduit à l’inflammation des tissus. Les scientifiques cherchent une nouvelle approche thérapeutique pour lutter contre la formation de ce biofilm.

Un microscope à force atomique pour étudier l’adhésion du sucre synthétique

Pour empêcher cette adhésion bactérienne et donc la formation du biofilm, les chercheurs du consortium ont fabriqué environ 400 sucres synthétiques appelés glycoclusters. Ces derniers ont la particularité de posséder une affinité pour la protéine LecA supérieure au galactose présent sur les cellules épithéliales du fait d’interactions multiples (comme un velcro). L’introduction de ces glycoclusters sous forme d’aérosols pourrait empêcher l’interaction naturelle de LecA. Il serait ainsi possible d’inhiber la formation du biofilm. Ces 400 glycoclusters ont été testés sur des puces à sucres.

Magali Phaner-Goutorbe, professeure en physique-chimie et nanotechnologies, a étudié l’adhésion du meilleur des sucres synthétiques avec un microscope à force atomique capable de réaliser des images à l’échelle moléculaire et de mesurer des forces intermoléculaires et intercellulaires de quelques nanoNewtons à quelques picoNewtons.

Les résultats ont été publiés dans la revue Nanoscale de la Royal Society of Chemistry2. « Les protéines LecA sont davantage attirées par les sucres synthétiques que par le galactose. Cela réduit donc l’adhésion de la bactérie aux poumons et limite la formation du biofilm », explique Magali Phaner-Goutorbe. « Les premiers essais in-vitro et in-vivo sur des souris sont encourageants », poursuit la chercheuse.

Nouvelles perspectives dans l’étude de l’adhésion cellulaire

Bacterie sur cellule

Ces recherches sur l’adhésion des biomolécules ouvrent de nouvelles perspectives dans l’étude de l’adhésion cellulaire. Elles trouvent des applications dans l'infectiologie mais aussi sur le développement de nouveaux tests diagnostiques, sur le cancer par exemple. « C’est l’objet d’une nouvelle étude de deux doctorantes qui cherchent à comprendre comment favoriser l’adhésion de cellules cancéreuses sur des biosystèmes pour pouvoir les analyser à l’échelle moléculaire. Grâce à la microscopie à force atomique combinée à de la simulation en dynamique moléculaire, il serait possible d’étudier les différences entre ces cellules cancéreuses et les cellules saines », indique Magali Phaner-Goutorbe. Ces travaux de doctorat sont aussi encadrés par Christelle Yeromonahos, maîtresse de conférences à l’École centrale de Lyon et à l’INL, spécialiste de dynamique moléculaire.

1Consortium de chercheurs européens des universités de Lyon, Montpellier, Marseille, Lille et Münster en Allemagne ayant bénéficié d’un financement de l’ANR (Agence nationale de la recherche).

2F. Zuttion et al, Nanoscale 2018, 10, 12771-12778 et F. Zuttion et al., Soft Matter, 2019, 15, 7211-7218