Publication : maîtriser les frottements grâce au design de surfaces de contact

Créer des contacts solides avec le niveau de frottement souhaité est considéré comme un graal en tribologie, la science des interfaces de contact. Une équipe du Laboratoire de Tribologie et Dynamique des Systèmes (LTDS), menée par Julien Scheibert, s’est penchée sur la question dans un article paru dans la revue Science.

Les enjeux d'un frottement adapté

Des baskets qui dérapent au sol, un rouage grippé, un pot de confiture qu'on n'arrive pas à ouvrir... Autant d’actions du quotidien qui deviennent difficiles quand le niveau de frottement est inadapté.  Au-delà de ces petits désagréments, tout système où le frottement est mal optimisé génère du gaspillage énergétique, des dysfonctionnements, une usure prématurée des pièces en contact, et donc des opérations de maintenance et de remplacement plus fréquentes, ainsi que les coûts qui y sont associés.

Maîtriser les frottements grâce à la science

Il existe actuellement deux techniques pour maîtriser le frottement entre deux solides :

  • D’abord, le frottement étant une caractéristique d’un couple de matériaux et de leur environnement, on peut chercher à sélectionner le couple idéal pour une application donnée. Cependant, les matériaux les plus adaptés pour leurs propriétés tribologiques ne le sont pas nécessairement quant à leurs autres propriétés, thermiques ou électriques par exemple.
  • On peut également ajouter une texture, c’est-à-dire une micro-rugosité, à la surface des solides pour modifier le frottement de l’interface. Mais les effets de la texture sur la force de frottement restent très mal compris, ce qui, en pratique, implique souvent une phase préalable, longue et coûteuse, d’identification expérimentale de la texture le plus adaptée.

Une nouvelle piste : designer les surfaces de contacts

C’est précisément ce dernier verrou scientifique que des chercheurs du LTDS ont levé. Dans un article paru dans la revue Science, ils décrivent une méthode permettant de réaliser, pour un couple de matériaux donné, une interface ayant un comportement frottant préalablement défini dans un cahier des charges. Pour atteindre cet objectif, leur stratagème a été de simplifier à l’extrême la rugosité de surface, qui se résume à un réseau de petites protubérances sphériques de hauteurs variées. Dans ces conditions, la réponse tribologique de l’interface devient facile à modéliser et on peut alors déterminer la hauteur de chacune des protubérances qui permet de conférer à l’interface le comportement de frottement désiré.

Les chercheurs ont illustré expérimentalement leur méthode sur un contact entre du verre et un élastomère silicone. Ils ont pu fabriquer différents échantillons en silicone dont la surface porte 64 protubérances sphériques, ayant toutes un rayon de courbure d’un demi-millimètre. En faisant uniquement varier les hauteurs individuelles des protubérances, ils ont obtenu différents coefficients de frottement - la grandeur qui quantifie le niveau de frottement d'une interface - sans rien changer aux matériaux en contact. Mieux encore, ils ont pu obtenir des contacts présentant deux coefficients de frottement différents selon le niveau de compression exercé sur les solides, comportement très difficile à trouver dans la nature !

Design interfaces de contact
Contact entre un matériau élastique texturé par des aspérités sphériques et une plaque rigide lisse. Les zones noires sont les zones de contact intime entre les deux solides. La flèche rouge indique le mouvement de glissement imposé à la plaque.© N. Morgado, LTDS

Et l'équipe ne compte pas s’arrêter là puisqu'elle tente de satisfaire des cahiers des charges de plus en plus complexes, par exemple en diversifiant les formes des protubérances et en les miniaturisant. Adieu les pots de confiture récalcitrants ?

Consulter la publication scientifique sur Science.

En savoir plus : Julien Scheibert, directeur de recherche CNRS au Laboratoire de Tribologie et Dynamique des Systèmes (LTDS, CNRS/Centrale Lyon/ENTPE).