Tous les athlètes de haut niveau savent que la frontière entre la victoire et la défaite est mince. Les premières places se jouent à peu de chose, et les records sur des épreuves mythiques comme le marathon ont souvent atteint un plateau au fil du temps. Il est essentiel désormais d’optimiser tous les facteurs contribuant au succès, ce qui a donné naissance au concept de gains marginaux. Le célèbre entraîneur britannique Dave Brailsford a résumé ce concept dans une citation bien connue : « Améliorer chaque petit détail de l'organisation et de la préparation sportive de 1 % permet d'obtenir un avantage significatif lorsque tout est combiné ». Initialement appliquée au cyclisme, cette approche est devenue populaire dans presque toutes les disciplines sportives.
Podcast RCF "Dis Pourquoi" avec Massimo Marro, ingénieur d’études au Laboratoire de Mécanique des Fluides et d’Acoustique
Réduire la traînée de l'air pour optimiser les performances des coureurs marathoniens
Cette étude expérimentale, menée en soufflerie par une équipe du Laboratoire de Mécanique des Fluides et d'Acoustique (LMFA), se concentre sur l’aérodynamique de la course à pied de longue distance, en mettant l’accent sur la réduction de la force de traînée de l’air. Plusieurs autres aspects de la course ont déjà été abordés ces dernières années, notamment les vêtements techniques, les stages d’entraînement en altitude, et les chaussures dotées de plaques en fibre de carbone. Quant à l’aspect aérodynamique, il a plutôt été développé pour le cyclisme, où les effets positifs de la réduction de la traînée de l'air en roulant dans le cœur du peloton ou en se positionnant derrière des coéquipiers sont maintenant bien connus des professionnels et des amateurs.
L'importance de la formation des meneurs d'allure
Dans le domaine de la course à pied, deux événements récents ont permis de mettre en œuvre de manière spectaculaire cette recherche de gains marginaux en aérodynamique, en s’appuyant sur des meneurs d'allure, également appelés "lièvres". Ces derniers sont placés autour d'un coureur d'élite, avec l’objectif de pouvoir courir le marathon en moins de deux heures :
- Le 6 mai 2017 d’abord, avec le Nike Breaking2, l’athlète kényan Eliud Kipchoge est précédé de meneurs d’allure disposés en forme de flèche et se relayant régulièrement. Il termine sa course sur le circuit automobile de Monza en 2h00'25'' (compétition non officielle, record non homologué). Pour mémoire le record du monde est actuellement détenu par Eliud Kipchoge avec sa victoire au marathon de Berlin en 2022 en 2h01'09''.
- Une deuxième tentative est organisée le 12 octobre 2019 avec l’INEOS 1:59 Challenge, et cette fois Eliud Kipchoge brise cette barrière des deux heures, avec un temps de 1h59'40''. Ce résultat est obtenu avec une formation de 7 meneurs d’allure disposés en forme de flèche inversée, comme le montre la photo ci-dessous.
Mesurer en soufflerie la réduction de traînée qui s'applique sur le coureur d'élite
La présente étude a été motivée par ces remarquables performances. Elle a d’abord pris la forme d’un Projet d’Application de Recherche (PAr) de l’École Centrale de Lyon réalisé par deux étudiants au sein du LMFA.
Le Projet d'Application de recherche (PAr) constitue pour les élèves ingénieurs une première expérience individuelle de recherche avec un encadrement personnalisé dans un des laboratoires de l'École.
Les objectifs étaient de pouvoir :
- mesurer en soufflerie sur maquette la réduction de la traînée qui s’applique sur le coureur d’élite en présence de lièvres
- traduire ce gain marginal en un temps sur un marathon
- identifier d’autres configurations de meneurs d’allure plus favorables aérodynamiquement.
Après une première partie académique, l’étude des configurations Nike Breaking2 et INEOS 1:59 Challenge a permis de démontrer objectivement l’efficacité de cette dernière, avec une réduction de la force de traînée exercée sur Eliud Kipchoge de 50 % par rapport à un coureur évoluant seul, contre seulement 40 % pour la formation Nike Breaking2.
Il est bien sûr important de reconnaître les différences entre la situation réelle d'un coureur en mouvement et les conditions statiques en soufflerie. Dans une soufflerie, le vent souffle sur le coureur immobile, ce qui ne reflète pas exactement les conditions dynamiques de la course à pied. Dans la réalité, c’est le coureur qui bouge ses jambes et ses bras. Même avec ces limitations, il est possible d’estimer les gains potentiels en termes de résistance à l'air pour le coureur d’élite.
Identification d'une nouvelle formation de meneurs d'allure
Une formation originale de meneurs d’allure a aussi été identifiée, en profil d’espadon avec une forme allongée à l’amont, permettant de réduire de nouveau la traînée de 10 % par rapport à la formation INEOS 1:59 Challenge, en s’appuyant de nouveau sur sept meneurs d’allure. Cette formation permettrait de courir les 42,195 km d’un marathon avec un gain de 4 minutes et 30 secondes par rapport à un coureur d’élite seul, et un gain d’une minute par rapport à la formation utilisée par Eliud Kipchoge en 2019.
En conclusion, cette approche coopérative permet d'atteindre des performances exceptionnelles, en courant le marathon le plus rapide de tous les temps. Cette stratégie pourrait également permettre de franchir la barrière symbolique des 2 heures et 10 minutes pour les femmes.
Cette étude a été menée au sein du Laboratoire de Mécanique des Fluides et d'Acoustique (Centrale Lyon/CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1/INSA Lyon) par Christophe Bailly, Massimo Marro et Pietro Salizzoni, avec la contribution de Jack Leckert et Ethan Rollier, dans le cadre de leur Projet d'Application de recherche.
Consulter la publication intégrale "Wind tunnel evaluation of novel drafting formations for an elite marathon runner" (en anglais).
